Immeuble de l’Académie des sciences de la Biélorussie qui abritait la Bibliothèque dans les années 1930-1940 . Source: Bibliothèque scientifique centrale de Yakub Kolas de l’Académie nationale des sciences de la Biélorussie
La version abrégée de cet article est publiée dans: Наука и инновации, 2020, май, №5 (207). С. 72-77.
Chaque institution connait, au cours de son histoire, des périodes décisives qui pérennisent son existence, malgré toutes les épreuves qui s’imposeront par la suite à son destin. Dans l’histoire de la Bibliothèque scientifique centrale de Yakub Kolas de l’Académie nationale des sciences de la Biélorussie, ce sont les années 1929-1941 qui témoignent de son développement structurel fulgurant et de l’accumulation colossale de ses fonds, alors que la pression du Parti communiste commence à se manifester.
Il convient de préciser que la Bibliothèque de l’Académie des sciences de la Biélorussie est l’héritière de la bibliothèque de l’Inbelkult (Инбелкульт – Институт белорусской культуры / l’Institut de la culture biélorusse), un établissement légendaire qui existait en Biélorussie de 1922 à 1928. Un sort funeste attendait les membres de l’Inbelkult, fondateurs de la science historique biélorusse et personnalités culturelles exceptionnelles : la plupart d’entre eux furent victimes des répressions de masse menées sur la base de fausses accusations au début des années 1930.
L’article d’Alexandre Hrouša porte sur ces années difficiles, pendant lesquelles l’Inbelkult est devenu l’Académie des sciences et Dmitry Dovgyallo a été nommé directeur de la Bibliothèque. D. Dovgyallo a été connu en tant qu’historien et archiviste à l’époque de l’Empire russe : il a été diplômé de l’Académie théologique de Saint-Pétersbourg, et possédait le rang de conseiller d’État. Plus tard, il est devenu l’un des éditeurs des célèbres livres des registres civils des provinces de Vitebsk et de Mogilev sur l’histoire de la Biélorussie de la fin du XVIe au début du XVIIIe siècles. Au début du temps soviétique, il était collaborateur à l’Inbelkult. En 1929, D. Dovgyallo est devenu le directeur de la Bibliothèque de l’Académie des sciences de la Biélorussie.
Alexandre Hrouša démontre comment, malgré la pression croissante du Parti communiste, dans les circonstances de dévastation post-révolutionnaire, la direction de la Bibliothèque augmente les fonds et les collections de livres de cette dernière, en partant pratiquement de zéro pour atteindre jusqu’à 150 000 exemplaires en 1936, souscrit à de nombreuses revues scientifiques, et envoie ses publications à l’étranger, tout cela dans un contexte d’opposition entre l’élite intellectuelle, à savoir les membres de l’Inbelkult, d’un côté, et les autorités soviétiques de l’autre. Leur relation, initialement harmonieuse sur la question de la transformation de l’Inbelkult en Académie des sciences de Biélorussie, est devenue particulièrement tendue au début des années 1930. Les rêves romantiques concernant l’avenir de la Biélorussie, la dévotion professionnelle au nom du peuple biélorusse des personnalités éminentes de l’Inbelkult, ainsi que le rythme des recherches et des publications, ne pouvaient pas concorder avec les idées du Parti à propos de la lutte prétendument « scientifique » contre les théories et tendances dites « bourgeoises », « hostiles au prolétariat ». Les autorités craignaient que les membres de l’Inbelkult ne se retrouvent à la tête du mouvement opposant ; initialement résignées à la coexistence avec l’Inbelkult, elles sont ensuite rapidement passées à la persécution, puis à la violence physique à l’encontre de ses membres.
L’article montre la nature des accusations, des méthodes, des techniques rhétoriques et idéologiques que le Parti a utilisées contre l’intelligentsia de l’Inbelkult, puis de l’Académie des sciences de la Biélorussie : les documents qui y sont cités emploient les termes « direction nationale opportuniste » (Inbelkult), « contre-révolutionnaires démocrates nationaux », « restauration nationaliste-interventionniste, recherche bourgeoise », « contre-révolutionnaire sabotage ».
Les répressions ont touché non seulement les hommes, mais aussi les livres. À l’approche de l’année de la Grande Terreur, alors qu’une vague de répression détruit une partie importante de l’intelligentsia biélorusse, la bibliothèque perd également plusieurs de ses livres, dans le cadre des soi-disant « purges » menées contre le « sabotage » dans les sciences. Le département secret et le département de la littérature du sabotage sont créés. Le Parti oblige la direction de la bibliothèque à doter cette dernière d’une commission spéciale chargée de vérifier en permanence la « loyauté » des publications, surtout dans le cas des livres écrits par un « ennemi du peuple » ou un groupe d’auteurs, comportant « un ennemi du peuple ».
Dmitry Dovgyallo n’échappe pas au sort d’une grande partie de l’intelligentsia biélorusse : il est arrêté en 1937 et meurt en exil en 1942.
L’article montre par quel processus dramatique la Bibliothèque de l’Académie des sciences de la Biélorussie, la métaphore de l’intelligentsia, s’engage sur le chemin d’autodestruction.
Lire le texte intégral en russe: Александр Груша. Библиотека Белорусской академии наук (АН БССР) в 1929–1941 гг. Новый этап роста и первые утраты