Sur le chemin du soleil et du livre : le dieu Janus, ruthène-rus Francisk et le lituanien Petras

À la veille du Nouvel An, la Bibliothèque a reçu un cadeau important et significatif – la nouvelle monographie d’Il’ja Lemeškin, linguiste et historien culturelle qui travaille à l’Université Charles (Prague) et à l’Institut de la langue lituanienne (Vilnius). La parution du livre « Portrait de Francisk Skorina » est un événement significatif dans notre culture, car avec ce livre nous rendons hommage au premier imprimeur, traducteur, écrivain, médecin et botaniste lituanien Francisk Skorina.

Dans le contexte actuel, le livre ressemble à l’ancien Janus romain – le dieu du chemin solaire, du temps et des saisons, des portes et des portails, du début et de la fin, qui était représenté avec deux faces : jeune, face à l’avenir, et âgé, regardant dans le passé. Ruthène (rus) Francisk Skorina apparaît aujourd’hui de la même manière – avec les deux visages. L’un de ses visages contemple Vilnius de cinq cent ans, nous rappelant les débuts de l’impression de livres en Lituanie, l’autre nous regarde nous, les héritiers des traditions culturelles du Grand-Duché de Lituanie : Lituanie, Biélorussie et Ukraine, mais surtout (et surtout maintenant !) il regarde l’avenir de la Russie blanche, d’où il est l’originaire.

Que nous dit le portrait de Francisk Skorina et pourquoi il est si important pour nous ? Francisk Skorina a publié son portrait en décembre de 1517 dans l’un des livres de la Bible (Bivlia ruska), Le Livre de sagesse de Jésus, fils de Sira.

 

Skaryna(Skorina)-Portrait

 

Le livre a été imprimé dans la typographie du marchand Severin, situé dans la vieille ville de Prague. En décembre 2020, la maison d’édition, fondée par l’éminent imprimeur lituanien Petras Kalibatas, a fait pareil : 503 ans plus tard, Petro ofsetas a publié la très belle monographie de I. Lemeškin sur le portrait de F. Skorina, les circonstances de son apparition, ses créateurs, le lieu d’impression et sur bien d’autres choses intéressantes. La glorieuse imprimerie de Vilnius a ajouté une nouvelle publication à la galerie de ses créations exclusives.

 

Le frontispice du livre d’Il’ja Lemeškin «Portrait de Francisk Skorina. Еn commémorant le 550e anniversaire de sa naissance (1470–2020)»

 

En imprimant le livre, la Chancellerie du gouvernement de la République de Lituanie, l’Institut de la langue lituanienne, le Cercle linguistique de Prague, l’auteur du livre et le Petro ofsetas ont honorablement célébré le 550e anniversaire de Francisk Skorina, né en lointain 1470. D’ailleurs, le mérite d’avoir déterminé l’année de naissance appartient au même Il’ja Lemeškin. Jusqu’à récemment, l’année de naissance de F. Skorina était définie sur la base d’hypothèses floues et douteuses, indiquant 1482, 1486, 1490 ou d’autres années. Après avoir scrupuleusement étudié la source documentaire originale – le portrait de F. Skorina, daté de 1517, le chercheur affirme de façon certaine que 1470 est l’année de naissance de l’éditeur. La poétique et les lois du genre du portrait (dans la tradition de la Renaissance nordique, chez les maîtres flamands, allemands et tchèques du début du XVIe siècle) ont permis de conclure sans ambiguïté que la xylographie contient un chronogramme indiquant que en 1517 Francisk Skorina avait 47 ans. Pour un traducteur et éditeur de la Sainte Écriture, c’est l’apogée intellectuelle, et pour notre pays, c’est un événement significatif.

Ces précieuses informations ont incité la Chancellerie du gouvernement lituanien à trouver rapidement des fonds pour la préparation et la publication du livre. La nouvelle monographie de I. Lemeškin a poursuivi les efforts de la Bibliothèque de Wrublewski de l’Académie des sciences de Lituanie, pour perpétuer la mémoire de F. Skorina. Notamment pour cette raison la Bibliothèque a publié le livre Pranciškaus Skorinos Rusėniškajai biblijai – 500 (« Бивлии руской Франциска Скорины – 500 лет »).

 

Un nouveau livre «La Bible Ruthène de Francysk Skaryna fête son 500e anniversaire. Pranciškaus Skorinos Rusėniškajai Biblijai – 500»

 

La monographie d’Il’ja Lemeškin contient remarquablement de nombreux éléments élégants qui nous rappellent les propriétés des livres du XVIe siècle. Les livres de la Renaissance se caractérisaient par la variabilité de la composition. Les auteurs, pendant l’impression et la diffusion de livres, prenaient en compte les demandes du client / acheteur / lecteur. Lorsqu’on remarquait qu’il était possible de mieux représenter certains détails, par exemples, les illustrations, les textes ou les paratextes, ces éléments étaient facilement remplacés, complétés ou même supprimés. Dans la monographie d’Il’ja Lemeškin, l’ancienne réalité de l’impression du livre est considérée explicitement (sur la base des éditions de F. Skorina et S. Budny), et le livre lui-même, pour cette raison, prend plusieurs formes. L’une des versions du livre contient un double frontispice : sur le côté gauche il y a l’image originale de la planche xylographique ; sur le côté droit se trouve son empreinte originale. Le frontispice composé, inclus manuellement dans le livre, désigne le processus de transfert de la peinture du cliché sur le papier, en incarnant l’essence même de la typographie, avec laquelle Francisk Skorina a travaillé.

 

       

 

Le premier portrait de la Renaissance représentant un homme commun, originaire de Polotsk et citoyen du Grand-Duché de Lituanie en train de traduire la Bible est considéré par l’auteur sous différents aspects et perspectives, mais surtout dans le contexte de la culture de l’imprimerie tchèque de la première moitié du XVIe siècle. En 1517, le portrait a été peint par le présumé Maître IP et gravé par le Maître du trait fin. Souhaitant poursuivre cette tradition, Il’ja Lemeškin a commandé un portrait contemporain de Francisk Skorina. C’est ainsi qu’est apparu le deuxième portrait xylographique de notre éditeur. Il a été créé par le remarquable artiste tchèque, graphiste et illustrateur de livres Jiří Altman (né en 1942). L’artiste a minutieusement reconstruit l’original (en suivant la technique de traits de l’ancienne xylographie). Une œuvre contemporaine ornait le livre en frontispice.

 

 

La contribution majeure à la conception du livre a été apportée par un autre artiste illustre, Ilya Kabakov (né en 1933). Au début de sa carrière, l’artiste a travaillé en tant qu’illustrateur de livres ; néanmoins le représentant de l’Underground accordait sa plus grande attention à l’art conceptuel. Avec l’aimable autorisation du Maître, la mouche glorifiée, qui en 1982 provoquait l’art officiel, « s’assit » sur la couverture du livre de I. Lemeškin. Sur la couverture de la monographie, une mouche soviétique parle avec plaisir avec sa consœur de la Renaissance. L’apparition de la musca Kabakoviana sur les pages et sur la couverture du livre est un phénomène remarquable. Il s’agit d’un énorme succès – à la taille d’une mouche – de l’imprimerie lituanienne contemporaine. Pour cela, l’auteur du livre et ses éditeurs remercient sincèrement le Maestro.

 

Сouverture du livre d’Il’ja Lemeškin. Portrait de Francisk Skorina. Еn commémorant le 550e anniversaire de sa naissance (1470–2020)

 

L’apparition de la mouche de Kabakov, bien sûr, n’est pas accidentelle. La monographie accorde beaucoup d’attention à la musca depicta (mouche peinte). Ce moyen artistique expressif a été utilisé pour la première fois par Francisk Skorina ; aujourd’hui la tradition est poursuivie par Il’ja Lemeškin. En 2019, la mouche a «atterri» à la page 44 de sa monographie Lithuanica aliter («Les sources lituaniennes autrement»). Le même « trublion ennuyeux » est présent dans le livre « Portrait de Francisk Skorina » à la page 45. La nouvelle mouche a été créée par l’artiste Terezie Unzeitigová, et elle a été placée sur la feuille par la décoratrice Gražina Kazlauskienė. Et ce n’est pas tout. Les typographes anciens en 1517-1518 « faisaient » en sorte que la mouche puisse bouger : elle remuait sa patte et s’envolait. Dans le livre d’Il’ja Lemeškin, ce moyen artistique exquis est encore plus développé. Ici, la mouche « court » de bas en haut le long du bord de la feuille. Pour voir cette animation, le lecteur doit parcourir rapidement le bloc du livre avec sa main gauche.

 

              

 

Le travail de l’artiste T. Unzeitigová a été créé à la demande de l’auteur que plus tard, puisque le livre était à l’origine censé être accompagné par une cinéographie différente. En 2017, l’artiste pragois Yevgeny Ivanov (né en 1966) a créé un pentaptyque dédié à Francisk Skorina, et en 2019 il a créé l’animation « La mouche de F. Skorina dance : (ré)animation d’une mouche, ou À bas les fers à cheval russes ». Après que Petro ofsetas ait généreusement alloué des fonds pour l’impression couleur, l’idée originale a dû être abandonnée, mais la merveilleuse animation de 2019 est disponible à l’adresse : https://skaryna.com/ru/lemeshkin-skorina-musca-depicta-tantzuet-danse. Pourtant, la générosité de Petro ofsetas ne se limitait pas à l’impression couleur. Consciente de la valeur du tirage jubilaire, la maison d’édition (la création originale de P. Kalibat) a édité le livre sur du papier de haute qualité et l’a revêtu d’une couverture rigide avec un gaufrage de lin. L’auteur, les éditeurs du livre et tous les futurs lecteurs expriment leur sincère gratitude à cette entreprise de Petro ofsetas.

La nouvelle monographie de I. Lemeškin contient un grand nombre de bonnes surprises qui doivent être découvertes par le lecteur lui-même. Le livre n’apparaîtra pas dans les librairies ; il ne peut que être trouvé dans la librairie de l’Institut de la langue lituanienne, après avoir pris rendez-vous. Et, bien sûr, il sera possible de le consulter dans les bibliothèques lorsqu’il y entrera. Dans la Bibliothèque de Wrublewski de l’Académie des sciences de Lituanie le livre d’Il’ja Lemeškin est déjà accessible, et le visage du jeune Francisk Skorina (à la page 298) regarde avec confiance vers l’avenir.

 

La Bibliothèque de Wrublewski de l’Académie des sciences de Lituanie et les éditeurs

 

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